Manque de relève ou pénurie d’entreprises transférables?
- Maxime Lévesque, Adm.A, CBV/EEE

- 30 sept.
- 4 min de lecture
Comment éliminer le risque “One‑Man‑Show” et maximiser la valeur?
On entend depuis des années que « des milliers d’entreprises fermeront faute de relève ». Et si le vrai problème n’était pas le manque de repreneurs, mais le manque d’entreprises réellement transférables?
Mythe vs réalité
Mythe: Il n’y aura pas assez d’acheteurs pour toutes les PME à vendre.
Réalité: Beaucoup de PME ne sont pas vendables à bon prix, car elles reposent trop sur une seule personne (souvent le propriétaire), sans délégation, sans employés clés, et sans processus documentés. Dans ces entreprises “One‑Man‑Show”, le dirigeant gère tout: clients, fournisseurs, décisions stratégiques et opérations au quotidien.
Problème central: le risque “One‑Man‑Show”
Symptômes typiques:
Le propriétaire prend toutes les décisions et détient toutes les relations critiques
Aucun employé clé autonome; pas de processus écrits; peu ou pas d’indicateurs de performance.
Si le propriétaire s’absente trois semaines sans téléphone ni Internet, l’activité ralentit voire s’arrête.
Conséquence M&A: - Risque perçu très élevé pour un repreneur.
Moindre appétit des acheteurs, davantage de conditions (earn-out, retenues), et multiples de valorisation inférieurs.
Dans ces cas, « l’achalandage » est lié à la personne, pas à l’entreprise. Sans le propriétaire, la valeur chute fortement.
Cas pratique 1 — Quand l’entreprise, c’est le propriétaire
PME de services B2B, 4 M$ de revenus, 900 k$ de BAIIA.
Le fondateur signe tous les contrats, fixe tous les prix, gère les 10 plus gros clients, approuve chaque devis.
Aucun directeur de compte autonome, CRM sous‑utilisé, pas de manuel opérationnel.
Conséquence à la vente
Acheteurs intéressés mais inquiets: “Que reste‑t‑il si le fondateur part?”
Term sheet typique: multiple plus bas, forte portion de prix conditionnelle (earn‑out), et obligation de transition longue.
Résultat: prix net réduit, « closing » plus difficile, financement bancaire contraint.
Entreprise A (dépendante du propriétaire): BAIIA 1,0 M, profil risqué : multiple 3,0 X = valeur de 3 M$.
Entreprise B (mêmes chiffres, mais autonome): BAIIA 1,0 M, risque réduit : multiple 5 X = valeur de 5 M$.
Écart de 2,0 M$ uniquement lié à la transférabilité et à l’autonomie opérationnelle.
Cas pratique 2 — De “One‑Man‑Show” à “prête à reprendre”
PME manufacturière, 7 M$ de revenus, 1,2 M$ de BAIIA.
Objectif: vendre dans 18 mois.
Plan d’action (9–12 mois)
Cartographier les processus critiques (devis → production → livraison → facturation → service).
Recruter et responsabiliser 2 employés clés: un directeur des opérations et un responsable comptes stratégiques.
Transférer progressivement les relations clients/fournisseurs à l’équipe; instaurer un CRM et une gouvernance de comptes.
Documenter SOP/Manuel opératoire; instaurer des KPI hebdomadaires (qualité, délais, marge, encaisse).
Mettre en place un calendrier de décisions non dépendantes du propriétaire (RACI).
Effectuer le “test des vacances” (voir plus bas) et corriger les points faibles.
Résultat à la vente
Vérification diligente fluide, risque perçu moindre, meilleure bancabilité. Plusieurs acheteurs concurrents; multiple supérieur et moins d’éléments conditionnels.
Diagnostic express: êtes‑vous indispensable? Attribuez 0 (non), 1 (partiel), 2 (oui) à chaque question:
Vos 10 principaux clients peuvent‑ils être gérés sans vous?
Avez‑vous au moins 2 employés clés capables de prendre des décisions sans validation quotidienne?
Vos processus critiques sont‑ils documentés (SOP) et suivis?
Disposez‑vous d’un tableau de bord KPI hebdomadaire revu en équipe?
Avez‑vous une matrice de compétences et un plan de relève par fonction?
Avez‑vous déjà quitté l’entreprise 3 à 4 semaines sans impact notable sur revenus, qualité et trésorerie?
Interprétation:
0–4: Risque “One‑Man‑Show” élevé — priorité à la dépersonnalisation.
5–8: Base en place — renforcer l’autonomie et la documentation.
9–12: Transférabilité élevée — prête pour un processus M&A.
Plan d’action recommandé (90–180 jours)
Phase 1 — Stabiliser et cartographier - Cartographiez les processus “de bout en bout”.
Identifiez les goulots d’étranglement dépendants du dirigeant.
Lancez un tableau de bord KPI (revenus, marge brute, délais, NPS, DSO, stocks, accidents/qualité).
Phase 2 — Construire l’autonomie
Nommez 1–2 leaders fonctionnels; définissez objectifs et pouvoirs clairs.
Transférez 50–70% des interactions clients/fournisseurs stratégiques aux leaders.
Documentez 10 SOP prioritaires (vente, politique de prix, achats, production/prestation, facturation, recouvrement, service après‑vente).
Phase 3 — Gouvernance et discipline opérationnelle
Installez des rituels: journalier/hebdomadaire, revue KPI, revue pipeline, S&OP (si manufacturier).
Mettez en place une matrice RACI pour les décisions types (remises, achats > X$, embauches, litiges).
Formalisez la gestion des contrats (calendrier des renouvellements, approbations).
Phase 4 — Stress test “congé d’un mois” et corrections
Le dirigeant s’absente 2 semaines (puis 4), sans téléphone ni Internet, avec un plan d’escalade strict. - Mesurez l’impact sur ventes, qualité, encaissements, satisfaction client; corrigez les écarts.
Répétez jusqu’à stabilité.
Le “test des vacances”: la preuve ultime de transférabilité
Se mettre volontairement au défi de partir 1 mois sans téléphone ni Internet révèle les failles structurelles et force la création de processus, d’une équipe autonome et d’une gouvernance robuste. Le fait de “se rendre inutile” est l’objectif: une entreprise qui gagne de l’argent sans le propriétaire vaut plus et attire plus d’acheteurs.
Ce que les acheteurs et les banques veulent voir :
Équipe de direction autonome et motivée (contrats d’emploi, bonus liés aux KPI).
Processus documentés et indicateurs maîtrisés.
Concentration clients/fournisseurs acceptable et plans d’atténuation.
Dossier de vente clair: data room ordonnée, pré‑vérification diligente déjà faite.
Checklist “data room” prête pour la vérification diligente :
Organisation: organigramme, descriptions de poste, matrice de compétences, plan de relève.
Processus: SOP clés, manuel qualité, RACI, calendrier des comités.
Commercial: CRM propre, pipeline, contrats majeurs, politique de prix/remises.
Opérations: indicateurs (OTIF, scrap/retouches, productivité), plan capacitaire.
Finance: états financiers, cohérence BAIIA, politique de crédit, DSO/stock, capex.
Juridique: baux, contrats fournisseurs/clients, IP, licences.
RH: politiques, formation, conformité SST, modalités d’incitation.
Relier préparation et valeur de cession
Moins de dépendance au dirigeant = moins de risque perçu = plus d’acheteurs et des multiples plus élevés.
Une entreprise “qui roule toute seule” obtient un prix supérieur et des conditions de paiement plus favorables (moins d’earn‑out, moins de retenues).
Le problème n’est pas tant le manque de repreneurs que le manque d’entreprises transférables. Les PME “One‑Man‑Show” sont difficiles à vendre et se négocient mal.
Votre feuille de route:
Lancez le “test des vacances” (progressif, jusqu’à 1 mois)
Bâtissez des processus et une équipe 100% autonome
Rendez‑vous “inutile” opérationnellement
Prouvez la stabilité sans vous.
Mettez en scène cette autonomie dans un dossier de vente impeccable.
Résultat: vous créez de la valeur parce que l’entreprise peut faire de l’argent sans vous. Un repreneur paiera plus cher pour une entreprise autonome qui “tourne toute seule”.
Note sur l’expérience terrain
De nombreuses PME visitées présentent ce profil “One‑Man‑Show”, avec centralisation des décisions, relation directe unique avec clients et fournisseurs, et absence d’employés clés — d’où l’importance d’industrialiser l’entreprise avant de la mettre en vente.



